Eygun, les travailleurs émigrés

Dès 1914, le chantier de la construction de la liaison ferroviaire Pau-Canfranc est stoppé. Un de ses outils industriel, les ateliers d’Eygun, est reconverti en usine de production d’obus. Le manque de main d’œuvre locale amène à faire appel à plusieurs milliers d’ouvriers espagnols. Ils y travaillent pour des salaires de misère qui leurs permettent toutefois de fuir la pauvreté de leurs villages aragonais. Ils construisent eux-mêmes des baraquements de fortune pour se loger, et font face parfois à l’hostilité des Aspois, qui vivent mal la présence de cette communauté épargnée par la guerre sur un territoire vidé par l’appel au front et où les deuils s’enchaînent.

L’industrie de guerre est vue ici comme une machine dévorant les hommes. Les engrenages en sont la métaphore, qui broient et effacent la singularité des individus pour les transformer en armes au service d’une folie meurtrière, happant au passage des migrants économiques contraints de gagner leur vie au sein d’une production de guerre. Une mécanique infernale confinant à l’absurde, tel un sinistre manège capable de dresser ses victimes les unes contres les autres.

Lhers, les passeurs, les évadés et les résistants

Jean-Baptise Lalhève, survivant de la première guerre, et ses fils, Léon et Jean-Pierre, sont tous trois morts en déportation pour avoir été passeurs durant la Seconde Guerre Mondiale. Comme Théodore Troïtino, Pierre et Catherine Traille, et tant d’autres, ils ont risqué ou perdu leur vie pour assurer la liberté des femmes et des hommes fuyant Vichy et le nazisme. La vallée d’Aspe, dont le chemin de la Liberté se situe au bout de cette route, a été l’un des points de passage de celles et ceux qui se sont évadés vers l’Espagne et d’autres destins.

Chemins dérobés et multiples, caches, organisations secrètes, ruses, dangers de mort : cette carte retrace les itinéraires et les histoires des passeurs et de ceux qui ont fui vers la liberté. Ces narrations forment des chaînes de solidarité qui s’entremêlent au fil des reliefs, formant un ensemble poétique dans lequel l’humain et le paysage ne font plus qu’un.
Au sommet d’un poteau indiquant les destinations prises par les évadés, une silhouette tourne au gré du vent, qui tente de garder le cap, perdue dans les tourmentes guerrières.

Aydius, la révolte contre l’absurdité de la guerre

En mai 1917, épuisés par trente mois de combats inhumains, des conditions de vie abominables, et par les derniers assauts sanglants et inutiles de la bataille du chemin des Dames qui se sont soldés par des dizaines de milliers de morts, les poilus vont refuser les ordres d’une hiérarchie insensible à leurs sorts. Ils choisissent alors en masse de faire « la grève des tranchées ». La répression est féroce. Au sein des régiments du sud-ouest, dix mutins sont déférés devant un tribunal militaire. Cinq sont condamnés à mort, trois seront fusillés, « pour l’exemple ». Jean-Louis Lasplacettes, originaire d’Aydius, fut l’un d’eux. Jean Lavielle, d’Accous écope lui de dix ans de bagne. D’autres seront en première ligne dans les combats futurs…

À l’occasion de ces manifestations, les hommes entonnent la fameuse Chanson de Craonne, illustration emblématique des souffrances qu’ils endurent, de leurs révoltes, de leurs volontés d’être respectés, y compris par un commandement qui les précipitent dans des assauts absurdes et sanguinaires, méprisant leurs droits et leurs dignités. C’est ce chant qui a inspiré cette œuvre, dédiée aux souffrances de tous les soldats partis au front, dans laquelle résonnent ses paroles.

Bedous, les disparus et les retrouvailles

Le 21 avril 1914, le premier tronçon de la voie ferrée devant relier la France à l’Espagne est inauguré avec enthousiasme par les Aspois. Pour la première fois, des trains arrivent en gare de Bedous, promesses d’espoir et de progrès pour la vallée. Trois mois plus tard, ils sont des centaines d’hommes à embarquer dans ces mêmes wagons qui les emportent dans la fournaise de la guerre. 370 n’en sont jamais revenus.

Cette grande fresque réunit les noms et prénoms des Aspois morts au front et les corps enlacés de celles et ceux qui ont vécu 14-18 : femmes, parents, enfants, soldats d’ici et d’ailleurs, mutilés ou gueules cassées, ouvriers et paysans, morts et vivants. C’est la photo d’une grande famille recomposée, dans laquelle vous êtes invités à prendre place, glisser un bras ou le visage, pour des retrouvailles au-delà des origines, du temps et des frontières. Au verso, l’envers du décor évoque l’enchainement infernal d’engrenages nationalistes qui déclenchèrent cette guerre et plongea le monde et l’Europe dans le chaos.

Sarrance, bienvenue aux réfugiés

En 1914 et 1915, le monastère de Sarrance accueille des réfugiés, principalement originaires des Vosges, fuyant leurs villages, leurs foyers anéanties par la guerre. Il s’agit pour l’essentiel de femmes, d’enfants, de vieillards et d’invalides qui sont arrivés dans la vallée grâce aux trains de retour du front. Leurs parcours restent peu documentés, et si la plupart sont repartis à la fin du conflit, d’autres ont certainement refait leur vie en Aspe, laissant derrière eux tout un pan de leur existence.

Les parcours de vie de celles et ceux qui un jour, doivent fuir leur pays ou mourir, sont innombrables et uniques. Ils illustrent chacun à quel point cette épreuve peut concerner n’importe qui, n’importe quand, sans distinction d’origine, de statut social ou d’âge. Ces séquences dessinées, à lire en se déplaçant, sont un modeste hommage au courage de ceux qui sont confrontés à l’exil.